THE HAIRY GIRAFFE… AU RAJASTHAN
Après trois semaines au Rajasthan, il est l’heure de dresser le bilan. Comment avons-nous vécu ce voyage ? Quels ont été nos joies, nos déceptions, nos interrogations, nos doutes, nos découvertes ? Il ne s’agit évidemment pas du bilan d’un pays mais de celui d’un voyage. Tel que nous l’avons perçu, individuellement, subjectivement.
Nous, c’est François et Benjamin, coiffeurs de girafes et amateurs de voyages. Sur ce blog, retrouvez nos voyages, nos astuces, nos humeurs et tout le nécessaire pour devenir coiffeur de girafes et partir explorer le monde. Un blog honnête avec des photos garanties 100% sans filtres ni retouches. |
Le bilan de Benjamin
Le nom des villes du Rajasthan résonne comme autant de promesses de contes des 1001 nuits. Jodhpur, la ville bleue, Jaïpur, la ville rose, Jaisalmer, la ville dorée. Pourtant, on entend souvent que l’Inde est un pays sale, bruyant, surpeuplé et qu’y voyager en indépendant est exténuant.
L’Inde, on l’adore ou on la déteste, dit-on. J’ai voulu vérifier par moi-même, savoir si j’allais l’adorer ou la détester.
Finalement, après 3 semaines au Rajasthan (incluant quelques jours à Delhi et Agra), je ne peux pas dire que j’adore ou que je déteste l’Inde. J’avais choisi le Rajasthan comme destination parce que la région m’apparaissait comme la plus séduisante, une région pleine de palais, de maisons colorées et de temples sculptés. Sur ce point, je ne peux qu’être un peu déçu.
Oui, certains sites sont très beaux mais les villes sont éloignées de plusieurs centaines de kilomètres les unes des autres et chaque ville prise séparément ne présente qu’une petite poignée de sites intéressants. Beaucoup de sites ne sont pas restaurés et on ne fait que deviner leur splendeur d’autrefois. Une journée suffit généralement pour en faire le tour…et j’en avais souvent prévu trois par ville !
Et puis, les surnoms sont tous mensongers : quelques rues seulement de Jodhpur sont partiellement bleues, les bâtiments de Jaïpur sont orangés et Jaisalmer est de couleur sable. Et toutes les villes, même la petite Jaisalmer, passeraient pour des mégapoles cauchemardesques dans n’importe quel pays européen.
Évidemment, comparer les pays et les voyages est un exercice toujours un peu périlleux, et souvent injuste, mais plus on voyage et plus cela devient un réflexe. Et je ne peux pas m’empêcher de me dire qu’en deux jours à Mandalay, en Birmanie, nous avions vu plus de merveilles qu’en deux semaines au Rajasthan.
Mon bilan en termes d’intérêt purement touristique est donc assez mitigé. J’exclus le Taj Mahal, qui vaut à lui seul le voyage et dont la beauté pure et élégante en fait un lieu vraiment unique.
Mais je crois que l’intérêt de l’Inde est ailleurs. Je ne pense pas que les gens qui adorent l’Inde adorent ses palais. Je crois qu’ils sont fascinés par le reste. Ce que j’entends par le reste, c’est le vacarme, le chaos, l’intensité des stimuli en permanence. À chaque instant, nos sens sont assiégés de tous côtés.
Lorsque nous avons choisi les destinations de notre tour du monde, nous souhaitions ne pas nous concentrer sur une seule région du monde mais au contraire, nous voulions pouvoir toucher du doigt la diversité et la complexité du monde. Passer des Émirats arabes unis à Delhi, d’un environnement quasi aseptisé aux conditions sanitaires dramatiques de l’Inde créa le choc culturel espéré. Nous sommes entrés dans un autre monde.
Est-ce que j’adore ou est-ce que je déteste cette ambiance ? Ni l’un ni l’autre.
Le vacarme permanent, les niveaux incontrôlés de pollution, les déchets partout, les vaches dans les rues, les chèvres attachées sur les balcons, les magnifiques palais et forts mal restaurés, le harcèlement constant des vendeurs de rue et des conducteurs de touktouk, l’absence totale d’insonorisation dans les chambres d’hôtel, les odeurs parfois insoutenables dans les ruelles, tout cela rend l’expérience terriblement épuisante. Énervante. Agaçante. Mais forcément fascinante aussi.
Parce que nulle part ailleurs dans le monde on ne retrouve un tel niveau de sollicitations de nos sens. Et rien ne peut nous préparer à une telle expérience. Un voyage en Inde est une expérience totale et permanente, plus peut-être que dans n’importe quel autre pays. Et c’est cela que j’ai à la fois aimé et détesté.
Et puis, bien sûr, il y a l’extrême pauvreté de masse. À elle seule, cette pauvreté me questionne sur la possibilité d’adorer l’Inde. Certes, dans les grandes villes européennes, il y a de la pauvreté. Mais dans les villes indiennes, non seulement cette pauvreté est extrême mais elle est de masse.
À Delhi, partout où le regard se pose, on voit des gens qui ont faim, qui vivent à même le sol, parfois le long des rails, des gens qui mangent dans les poubelles, qui se sont installés sur des montagnes de détritus ou qui façonnent à mains nues des galettes de bouses de vache séchées pour les vendre et tenter de survivre.
Plus que tout autre pays, ce voyage en Inde a été pour moi une expérience qui m’a profondément questionné sur ma place en tant que touriste occidental.
Face à cette extrême pauvreté de masse, quel regard puis-je porter ? Si j’étais venu en voyage humanitaire, ma place aurait été évidente, naturelle. Mais peut-on visiter l’Inde comme on visite la Thaïlande, le Pérou ou la France ? Parce que la terrible réalité, c’est que cette misère, mêlée au vacarme et à l’intensité des villes, même les plus petites, rend l’expérience fascinante. Mais suis-je en droit de trouver fascinant un pays où tant de gens meurent de faim ?
Le touriste occidental en Inde est-il donc nécessairement un voyeur ? Un privilégié repu de la misère et qui la photographie pour rapporter chez lui des clichés exotiques et pittoresques de l’Inde ?
Contrairement à mes attentes, les touristes étrangers étaient en toute petite minorité dans la région, même au Taj Mahal. Et au milieu de tant d’Indiens, le touriste occidental ne passe jamais inaperçu. Les demandes de photographies ne manquent guère, à chaque site touristique. Et le contact se fait alors plus timide, plus souriant, plus authentique. Ces échanges furtifs avec des Indiens qui souvent ne bredouillent que quelques mots dans un anglais approximatif, sont des bulles d’humanité qui nous protègent un instant du vacarme ambiant.
Malheureusement, les sollicitations pécuniaires prennent rapidement le relai. Le pays pratique le système de double prix : un ‘prix Indiens’ et un ‘prix étrangers’, beaucoup plus élevé. Alors, forcément, le touriste étranger est souvent vu comme un portefeuille ambulant, une façon facile de se faire deux ou trois fois plus d’argent pour le même service. Ce sont donc des sollicitations constantes, parfois proches du harcèlement, certains touktouks allant jusqu’à nous suivre sur plusieurs dizaines de mètres ou à inventer des histoires pour arnaquer le touriste.
De nouveau, ces situations me renvoient à ma condition de touriste occidental. Lorsque des femmes, qui ne font pas la manche, nous approchent et nous tendent la main en répétant “roupies”, lorsque des enfants accourent vers nous pour demander de les prendre en photo contre 100 roupies (1€), quand un guide nous engueule parce qu’on n’a pas voulu de ses services et qu’il nous dit “c’est seulement 2€, ce n’est rien pour vous”, quand une femme nous montre le ventre de son jeune enfant avec un regard suppliant, je me questionne sur ma place. Le touriste occidental doit-il être un substitut aux services sociaux défaillants de la 5ème puissance économique mondiale ?
Alors que les inégalités excessives du Brésil, et son corollaire qu’est l’insécurité, avaient créé chez moi des sentiments simples de révolte et de peur, l’extrême pauvreté de masse de l’Inde, et l’insalubrité portée à des niveaux que je n’aurais jamais imaginés, m’ont souvent mis mal à l’aise. La misère des rues indiennes a provoqué en moi de la curiosité, de l’agacement, de la fascination. De l’indignation aussi quand je vois une touriste qui donne 0.10€ à une femme en détresse pour la prendre en photo avec son bébé. Ce tourisme voyeuriste me rend profondément mal à l’aise.
Et toujours cette même ambiguïté, ce même inconfort que l’Inde a provoqué en moi : comment suis-je censé réagir face à autant de misère et alors que tous mes sens sont constamment assiégés et que les différences culturelles sont tellement immenses que je ne comprendrai jamais pleinement la culture de ce pays, désormais le plus peuplé de la planète ?
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