THE HAIRY GIRAFFE… AU JAPON
Après trois semaines au Japon, il est l’heure de dresser le bilan. Comment avons-nous vécu ce voyage ? Quels ont été nos joies, nos déceptions, nos interrogations, nos doutes, nos découvertes ? Il ne s’agit évidemment pas du bilan d’un pays mais de celui d’un voyage. Tel que nous l’avons perçu, individuellement, subjectivement.
Nous, c’est François et Benjamin, coiffeurs de girafes et amateurs de voyages. Sur ce blog, retrouvez nos voyages, nos astuces, nos humeurs et tout le nécessaire pour devenir coiffeur de girafes et partir explorer le monde. Un blog honnête avec des photos garanties 100% sans filtres ni retouches. |
Le bilan de Benjamin
Si faire le bilan d’un séjour de 3 semaines au Japon est un exercice délicat, c’est parce que le pays est associé à tellement de fantasmes et d’injonctions en Occident qu’aucune critique ne semble permise.
C’était la seconde fois que j’allais au Japon et, en quinze ans, le tourisme a explosé et le pays a de toute évidence un peu changé. Et puis, entre-temps, j’ai voyagé dans une quarantaine de pays et j’ai aussi vieilli (eh oui…).
Disons-le tout de suite, je n’ai jamais été particulièrement fasciné par le Japon, qui est, pour moi, un pays comme un autre. C’est-à-dire un pays avec une histoire, une culture et des paysages propres, qu’on peut visiter comme on visite la Pologne, la Tunisie ou le Brésil. Et tous les fantasmes (et, soyons honnêtes, les exagérations voire les mensonges) répétés ad nauseam sur les réseaux sociaux par les influenceurs occidentaux ont un effet terrible : ils rendent la vérité moins excitante, voire décevante.
Non, le Japon n’est pas (plus ?) un pays futuriste (la crise économique lancinante depuis les années 1990 est clairement passée par là). Non, les villes japonaises ne sont pas de petits villages adorables (l’architecture des grandes villes, Kyoto incluse, est au mieux utilitaire, au pire moche). Non, les Japonais ne sont pas toujours ordonnés et ponctuels (chaque train que nous avons pris était en retard et dans les couloirs et escaliers du métro, tout le monde marche dans tous les sens ; on est loin de l’organisation chinoise). Non, les cerisiers en fleurs ne sont pas aussi roses que toutes les images (photoshopées) qu’on trouve sur Instagram.
Ce dernier point illustre bien les dommages que les médias sociaux peuvent faire à une destination. Nous avions prévu de voyager au Japon après la saison des cerisiers en fleurs, notamment pour éviter la foule touristique. Une vague de froid ayant retardé la floraison, nous avons pu admirer les cerisiers en fleurs la première semaine de notre voyage. Le spectacle est magnifique. Malheureusement, ayant vu et revu des photos sur Instagram, je m’attendais à quelque chose de plus exceptionnel encore.
L’écrasante majorité des cerisiers au Japon donne des fleurs blanches, avec un subtil ton rosé. La saison offre une certaine magie, créée par la fragilité et la fugacité de la floraison. Mais mes attentes étaient démesurées ; je pensais voir des rues entières couvertes d’arbres roses et j’ai trouvé le spectacle un peu décevant alors que la réalité est suffisamment belle pour qu’on n’ait pas besoin de cette surenchère de photos truquées qui pullulent sur Internet.
Il paraît que chaque année, des dizaines de touristes japonais sont victimes du “syndrome de Paris”, souffrant d’anxiété, de vertiges ou de vomissements, en découvrant le fossé entre les fantasmes qu’ils avaient de Paris et la réalité de la capitale française, qui présente tous les problèmes d’une métropole mondiale du XXIe siècle. C’est ce qui risque de nous arriver à trop cultiver une image fausse du Japon.
Je le répète : le Japon est un pays comme un autre. Partir en pensant que tout y est merveilleux, c’est risquer d’être déçu. Lorsqu’on prépare son voyage, le mieux est de se couper des médias sociaux. Et puis, cultiver cette image d’un Japon parfait, c’est aussi insulter la réalité vécue au quotidien par plus de 100 millions de Japonais, qui affrontent des problèmes comme tout le monde et ne vivent pas dans un conte de fée.
En réalité, visiter le Japon, ça ressemble à quoi ? Comme je le disais plus haut, le Japon est un pays comme un autre, avec ses merveilles et ses défauts. Ses merveilles d’abord : je suis toujours en admiration devant certains sites religieux, comme les temples de Nara ou le Bouddha de Kamakura. Pour ceux qui aiment les grandes villes asiatiques modernes, le centre-ville d’Osaka et les quartiers tokyoïtes de Shinjuku et Shibuya sont des expériences exaltantes. La cuisine japonaise est connue pour être excellente et assez peu onéreuse (même si les fans de pâtisseries françaises qui craquent ou croustillent, seront bien malheureux avec les desserts aériens japonais). Et puis, voyager au Japon est simple et agréable : tout y est propre et désormais tout est indiqué en anglais (lors de mon premier séjour, presque personne ne parlait anglais, ce qui a bien changé !). Le Japon est une destination idéale pour qui aime les contrastes, a grandi avec une fascination pour les samurais ou le sumo, ou, ne l’oublions pas (et François me l’a trop rappelé pendant ces 3 semaines !), pour les fans de Nintendo.
Mais le Japon a aussi des défauts et il est important d’en avoir conscience pour ne pas vivre un voyage décevant. À de nombreuses reprises lors de ce voyage, je n’ai pu que constater à quel point le modèle de société du Japon est à mille lieues du modèle français. Je trouve choquant de voir une telle quantité de personnes âgées travailler, souvent à faire la circulation devant un parking ou un chantier. Au Japon, les crises démographique et économique obligent un tiers des 70-74 ans à travailler.
De la même façon, je suis toujours frappé par la tristesse et la solitude des gens dans l’espace public. Après un mois en Chine, où les gens rient, parlent fort, improvisent des danses dans l’espace public, le Japon m’a paru assez terne. Au restaurant, le midi, la majorité des clients mangent seuls, et beaucoup d’entre eux s’endorment avant ou après leur repas. Et ils mangent vite, parfois debout. Le monde du travail japonais est très éloigné du modèle défendu par la majorité des Français, et la pause déjeuner ne revêt clairement pas la même signification.
De façon plus globale, le Japon est connu pour avoir de nombreuses règles sociales. C’est, a priori, un élément fascinant pour qui découvre la culture japonaise et y pose un regard curieux. Mais ces règles ont eu deux effets négatifs sur moi.
D’abord, j’ai souvent eu l’impression d’être un éléphant dans un magasin de porcelaine. Je crois que je suis une personne plutôt discrète et bien élevée, mais le regard des Japonais sur chacun de mes mouvements m’a souvent donné le sentiment de n’être qu’un barbare aux comportements primitifs. Il faut dire que les Japonais adoptent de nombreux comportements d’une préciosité surprenante pour un étranger. Servir un plat ou faire un paiement relèvent d’un processus codifié quasi théâtral dont les étrangers sont par nature exclus.
Tous ces codes m’ont également souvent mis mal à l’aise. Oui, il est plaisant au début d’être accueilli par des dizaines de mercis de toute l’équipe d’un restaurant (jusqu’à ceux qui sont au fond de la cuisine et ne vous voient même pas). Mais rapidement, la relation vendeur-client m’a paru démesurément déséquilibrée et j’ai été mal à l’aise lorsqu’on me remerciait en se pliant en deux pour avoir acheté un onigiri à 1€… De nombreuses règles, majoritairement implicites, m’ont alors semblé être très contraignantes et aller parfois à l’encontre de la spontanéité qu’on peut attendre d’une société. Paradoxalement, alors que les Chinois sont soumis à un contrôle politique serré, les Japonais m’ont semblé davantage contraints dans leurs libertés individuelles en raison de la pression sociale. Je me trompe peut-être totalement (même si le taux de suicides au Japon tendrait à me donner raison), mais le modèle japonais de société ne semble pas privilégier la santé mentale des individus.
Loin de gâcher un voyage, embrasser ces éléments peut au contraire l’enrichir. Trop de diktats sont associés au Japon sur les médias sociaux, qui nous poussent à ignorer ces facettes du pays. Pourtant, les mentionner et s’y préparer, c’est aussi réduire les risques de déception et du danger de vivre soi-même un “syndrome du Japon”.
Le Japon est sans doute l’une des destinations les plus dénaturées par les médias sociaux. Et c’est bien dommage. Le pays parfait n’existe pas et c’est aussi cela qui me plaît dans les voyages : ressentir, ne serait-ce qu’en surface, la richesse et la complexité de chaque endroit, et voir un peu comment les dynamiques économiques, politiques, culturelles et historiques façonnent les pays et les nations. Et cela inclut les bons comme les mauvais côtés.
En présentant une image parfaite du Japon, les médias sociaux créent une destination idéale mais fausse et, surtout, une destination paradoxalement appauvrie. Le Japon vaut mieux que ça. C’est un pays comme un autre, qui vaut la peine d’être découvert pour ce qu’il est, et non pour ce qu’on voudrait qu’il soit.
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